- Auteur : TEZUKA Osamu
- Genre : Drame
- Éditeur : Delcourt/Tonkam
Synopsis : Jiro Tengé, prisonnier de guerre tout juste rapatrié, est devenu agent secret au service des forces occupantes américaines. Son retour est plutôt mal vu, son père se demandant pourquoi il n’est pas mort pour sa patrie. Il retrouve une famille dont les liens se sont singulièrement dénaturés. Son frère aîné Ichiro qui accepte que sa femme couche avec son père en échange de l’intégralité de l’héritage. Une nouvelle petite sœur Ayako 4 ans, qui ressemble étrangement à sa belle sœur Sué. Sa sœur Naoko, membre du Parti Populaire des Travailleurs est rejetée par son père. Sa mère femme dévouée et soumise baisse les yeux sur les tromperies de son mari. Une vraie tragédie familiale baignée dans le contexte de l’après guerre, sous l’occupation avec un Japon en crise, grèves, licenciements et meurtres politiques… Dans le cadre du 90e anniversaire d’Osamu Tezuka, Delcourt/ Tonkam ressort, dans une prestigieuse intégrale, Ayako, oeuvre emblématique du plus célèbre des mangakas !
On ne vous présente plus le grand Osamu Tezuka, théoricien du manga moderne. Dans sa fin de vie, l’auteur a créé deux œuvres emblématiques que tout lecteur doit connaître : Ayako et L’histoire des trois Adolf. Ces œuvres, bien loin du trait d’un Roi Léo ou d’un Princess Saphir, montre un dessin et une histoire des plus matures d’Osamu Tezuka.
L’histoire traite d’Ayako. Mais pas seulement. Ayako ne sera que la résultante d’une affaire familiale scabreuse. Jiro Tenge, ancien soldat capturé par les Américains rentre au pays. Devenu un de leur espions, il aura la rude tâche de déposer un cadavre sur les voies d’un train. Mais camoufler un meurtre n’est pas rien. Et il laissera malencontreusement des traces qui le pousseront à faire taire ce terrible secret. Il va cacher, tromper, tuer comme il l’a fait pendant la guerre. C’est un combat tant physique que sur le plan psychologique. C’est en cela que cette histoire prend aux tripes et émeut. L’angoisse nous tenaille et les révélations bouleversent.
La pauvre Ayako va en payer les conséquences pour sauver l’honneur de la famille. Celle-ci a vu son frère couvert de sang le jour du meurtre. On devra la cacher pour qu’elle ne révèle rien de compromettant. Le petit frère de Jiro, Shiro, enfant comme Ayako à ce moment des faits, va se battre pour elle et prouver le crime de son frère. Pour qu’elle ne soit plus sacrifiée, en vain…
On suit donc les aventures de ces différents personnages qui ont tous une psyché recherchée et exploitée dans l’histoire. Elle suit fidèlement le temps de l’Histoire et montre la transformation du Japon d’après-guerre. On peut y voir le conflit des générations ainsi qu’un conflit des genres masculin et féminin. Peut-on dire qu’il y a un féminisme naissant à travers ce manga ? Nous ne saurons le dire, mais la portée féminine, au premier abord brimée, renaît de ses cendres. Il permet alors de pousser à la réflexion sur la condition des femmes, fait très novateur au Japon à cette époque. Le Japon est dans une mauvaise passe et les propriétaires commencent à disparaître de plus en plus. De nouvelles idéologies et de nouvelles aspirations émergent et sont de suite coupées court si elles ne concordent pas avec celle du régime impérial. Par exemple, Naoko la grande sœur, qui est dans le parti communiste est non seulement une entache pour la nation nippone mais aussi pour la réputation de la famille. Ayako nous permet aussi de voir cette société contemporaine se forger.
Des moments forts vous attendent. On ne peut que ressentir de l’empathie pour cette pauvre gamine qui n’a rien fait de mal. Celle-ci est née d’une infidélité connue, puis se retrouve enfermée dans un endroit peu hospitalier et grandira ainsi jusqu’à ses 18 ans. Ce trauma est tel que même si on lui donnait la possibilité de sortir de son antre, elle ne le ferait pas.
On suit peu à peu l’évolution de cette famille qui sombre dans la folie même le plus censé Shiro qui éprouvera des sentiments pour Ayako sa demi-sœur. Avidité, cupidité, culpabilité, lâcheté, manipulation, Tezuka nous démontre l’inhumain chez l’humain. Qu’un rien peut faire une montagne.
Ayako, elle, est une gamine emprisonnée dans un corps de femme, qui ne veut que s’amuser. Ne comprenant pas le sens du mot aimer, où ne prenant pas conscience des relations intimes qu’elle a avec son frère, elle ne connait pas les limites que le monde des adultes imposent à cause de ce tour pervers que lui a fait subir sa famille.C’est le reflet de la perfidie humaine avec une morale renversante. Cette œuvre profonde est un bel objet à acquérir.