Pour la promotion de l’anime Radiant, premier manga français adapté au Japon, nous avons eu l’honneur de pouvoir échanger quelques mots avec Tony Valente.
Quelles ont été vos inspirations pour Radiant ? Vos précédentes œuvres vous ont-elles aussi servies dans la conception du manga?
Cela m’a amené à une frustration du fait de ne pas avoir fait de manga jusque-là car le manga c’est ce que je voulais faire. Et cette frustration née de ces autres projets, m’ont permis de faire une œuvre sur cette forme-là. Le premier projet que j’ai fait en solo, qui s’appelait Hana Attori dont je faisais le scénario, Radiant est le Hana Attori 2.0. J’ai même repris des personnages du manga dont j’ai changé le nom et les rôles dans Radiant. En faisant Hana Attori j’ai voulu faire un manga mais ce n’était pas le bon format qui est français, il me fallait le bon format pour raconter l’histoire ou bien en terme de longueur. La BD il faut fournir 150 pages pour un album, plusieurs fois par an, tandis que le manga 46 par an. Donc toute cette frustration a donné lieu a Radiant dont on retrouve l’univers et l’esprit de certains personnages. Ceux qui ont lu Hana Attori s’amusent à trouver les personnage inclus dans Radiant, donc il a bien un lien direct avec Radiant.
Tu as donc connu la BD franco-belge pour passer au manga. Comment s’est passé cette transition vers ce format et comment fais-tu pour publier un à deux tomes par an ?
Cette année l’objectif est d’en publier 3. C’est intense. J’ai déjà eu la pratique d’avoir faits des albums. C’est vraiment important. Si j’arrivais dans le game de faire trois tomes par an sans cela, je ne serais incapable de le faire. Sur une nouvelle série, je ne sais pas non plus si je pourrais faire deux à trois tomes par an. Je viens de terminer le dixième il y a deux jours, donc j’ai déjà tout ça d’expérience. Puis je me suis complétement coupé d’internet, ce qui m’a fait gagner des heures de travail par jour. Par exemple, à l’atelier dans lequel je travail je n’ai que ma feuille dessin, encre et mon matériel. Rien d’informatique à part un ordinateur pour scanner mes pages. Mais il ne peut pas aller sur internet il est trop vieux donc je suis très content de lui (rires). Je ne vais que rarement sur internet pour écouter de la musique pendant l’encrage mais même ça ces derniers mois je ne l’ai pas fait et je n’ai fait que de bosser. Quand je veux me distraire c’est après. Ça, c’est la clé. Tu fais rentrer 3 journées dans une journée (rires). C’est fou on ne s’en rend pas compte juste au moment où on le fait vraiment. Et sur la longueur ça change la vie.
Vous êtes l’un des rare français à être publié dans d’autres pays, et surtout au Japon, comment se passe la relation avec votre éditeur nippon Asukashinsha ?
Radiant est publié au Japon actuellement au 8ème tome. Je communique directement avec les japonais grâce au français installé au Japon. Frédérique qui a monté son édition là-bas. Comme les éditeurs italiens ou américains, ce sont des éditeurs qui ont acheté la licence, je ne les considère pas comme mes éditeurs. Le fait que Radiant existe aujourd’hui est dû à cette importance de communication directe. Cela se passe entre moi et moi (rires) et Ankama. Dès le départ, j’ai signé pour faire ce que je veux sinon je ne signais pas. Donc, on me laisse libre mais on se concertes, je leur demande leur avis. Ensuite pour les éditeurs étrangers, c’est plus une relation où ils m’invitent pour des évènements. Et Frédérique, l’éditeur de Radiant au Japon intervient aussi en tant que consultant pour l’animé en participant aux réunions, car il embauché par la NHK et connais Radiant au plus près, car il est également le traducteur.
Ressentez-vous une pression supplémentaire de travailler avec les japonais et surtout d’avoir maintenant un public japonais qui a beaucoup d’attentes ?
Au début j’avais la pression si Radiant va marcher ou pas. Je commençais à me faire tacler sur le web, comme quoi je n’étais pas le premier français à être publié au Japon, or ce sont des mensonges. J’ai commencé à avoir super peur et je me disais qu’en plus si ça ne marche pas tout le monde va me pointer du doigt. Mais finalement ça va bien.
Radiant va avoir droit à sa série animée japonaise en octobre, avez-vous participé à l’élaboration de la série ? Avez-vous des attentes particulières concernant cette série animée, que ce soit au niveau du contenu ou de l’animation ou de n’importe quel autre détail ? Avez à nouveau la pression pour l’animé ?
J’essaie de veiller à ce que ce soit le plus possible dans l’esprit de l’œuvre originale. Donc ma pression c’est que ça ne dénote pas avec le contenu que je n’ai pas fait. Comme raconter un période à laquelle moi je n’ai pas raconté. Entre le tome un et deux, il se passe plusieurs semaines dans la vie des héros, et pour l’anime ils ont décidé de faire quelques épisodes là-dessus pour montrer comment les personnages développent leur relation. Les lecteurs vont bien voir que ce n’est pas le contenu du manga par contre, il faut que les éléments collent à ce que j’aurais pu faire. C’est donc ça ma pression. Et si ça ne marche pas aussi j’ai peur de tout cassé et de ne plus avoir d’opportunités (rires). Par contre au quotidien, quand je suis sur ma feuille le dessin, je n’ai vraiment pas de pression quand je travaille. Pour l’anime, j’ai une super relation avec le producteur où l’on fait des réunions tous les jeudis. Je leur envoie les scripts, ils me font des contre-propositions. Il y a un vrai échange
Tu viens d’achever ton dixième tome. Comment s’est déroulé ta dernière journée pour finaliser le volume ?
Elle a commencé à 5h du matin. J’ai entamé mes dernières pages. Je n’ai pas arrêté de dessiner et d’encrer toute la journée et toute la nuit. Donc elle ressemble à rien ma dernière journée (rires). Sinon une journée normale, je me réveille à 5h30, mon atelier est proche de chez moi donc je suis à l’atelier à 6h. Sur une journée, j’écris le scénario d’un chapitre dans l’idéal et au pire deux jours. Après je dessine en crayonné, puis encrer jusqu’à 6, 7 heures. Je travaille aussi un petit peu chez moi. Et entre temps, je m’occupe de ma compagne et de ma fille.
On sait que vous avez reçu du soutien de la part de Yusuke Murata et de Hiro Mashima, avez-vous été en contact avez ces auteurs depuis ? Si oui vous ont-ils donné certains conseils ?
Ce n’était pas vraiment des conseils. Le dernier message que j’ai eu de Murata c’était des félicitations pour l’animé. Il avait fait un dessin après qui a été publié, mais avant ça, il avait passé un message à mon éditeur japonais comme quoi il était super content et fier de me soutenir depuis le début. Avec l’animé, comme il s’y connait, il m’a donné deux trois trucs communs comme ça. Puis Mashima, je l’ai rencontré il y a deux ans. Super sympa, super généreux, contente de partager avec quelqu’un qui fait le même truc, donc plus dans cette optique-là… Je dois rencontrer Murata au Japon à la fin de l’année pour des dédicaces.
Que penses-tu du développement du manga français ?
C’est bien, ça fait une espèce de terreau. Je ne vois pas ça comme un aboutissement mais une source. Moi je pensais que ce qu’il m’arrive, arriverait à la génération suivante. J’en parlais avec mes amis qui me disaient que le manga français ça ne dépasserait pas le cadre de la France. Mais moi, je disais mais non. Je suis sûr, il y aura un mec qui va pouvoir s’exporter en dehors de la France et aura un animé. Mais on fait notre boulot, et ceux qui sont en train de grandir avec, dans 5 ans par exemple, là ils sont ados, un ou une d’entre eux va se révéler grâce à un projet plus mondial. J’étais persuadé que ça arriverait. Mais pas sur moi (rires). Maintenant, je reçois énormément de messages de gens qui sont attirés par tout ce que je fais et m’ont demandé comment ça marche : « Est ce que tu vas essuyer des écueils, et si l’animé ne marche pas » ce sera un indice pour savoir comment faire la prochaine.
Avez-vous des conseils à donner aux jeunes mangaka en devenir qui voudraient eux aussi réussir comme vous ?
A mon avis, on va se faire dépasser par les américains. On parle de French Touch comme si la France était la seule à faire du manga. Si on bouge, par exemple je suis allé en Italie, tu as des mangas de fou. Et ici on l’ignore. Et en Allemagne et aux USA c’est pareil. Mais eux, ils vont beaucoup plus vite que tout le monde dès qu’il s’y mette. Ils savent déjà ce que sait d’être auteur, ils ont de l’avance sur nous, sur les mauvaises conditions de travail (rires). Et là-bas il est en train d’émerger des trucs où tu va te dire que ce que va être connu mondialement. En plus, les américains sont hyper fiers de porter leur projet, plus difficile en France. Je vais rencontrer des médias généralistes mais on n’a pas la puissance de le faire rayonner sur l’international. Mais la French Touch ne doit pas s’endormir sur ses lauriers parce qu’à mon avis, c’est pas un phénomène français mais mondial : « Mondial touch ». Ça se passe partout et même mieux dans d’autre endroit c’est juste qu’ils n’ont pas les structures éditoriales qu’il faut. Il faut reconsidérer cela par une autre perspective, on peut faire du manga partout dans le monde et ça se fait. Je suis en contacte avec des auteurs italiens que j’ai rencontré l’an dernier qui font des trucs de fou, des followers qui vont jusqu’à 300 000 ou sur leur compte Instagram.
Qu’est ce qui pourrait casser cette barrière de sphère nationale, pour faire rayonner tout œuvre dans tout pays ?
Bonne question (rires). J’imagine que s’il y a de plus en plus de projet tel que Radiant qui émerge, qui puisse s’exporter au-delà de son pays, ça deviendra commun et que le manga vient de partout. A partir de la, tout le monde sera d’accord que tout le monde peut évoluer dans le manga. On se targe d’avoir le plus grand festival international de la BD à Angoulême. Le festival en Italie, il y avait trois fois plus de monde, avec des auteurs qui venaient de partout. On est trop autocentré, or en Italie, il était très au courant de ce que je faisais. Tout le monde me reconnaissait, c’est bien la preuve qu’ils sont plus ouverts. On a nous, cette espèce d’acquis d’être publié qui fait de nous des personnes qui ont eu l’aval d’évoluer dans le manga. Mais il y a de nombreux mangas auto publiés et encore plus dans les autres pays. Mais je pense qu’on va bientôt être submergé par les américains, on croit qu’on fait ça en France depuis longtemps mais on va bien rigoler après (rires).
Les 5 kiffs des illuminati ?
Manga/Anime : One piece, Dragon Ball et Naruto. Le combo. One piece c’est vraiment mon truc dans la vie.
Jeux :The Witcher 3, ça fait aussi partie de la vie (rires).
Film : Seigneur des anneaux, c’est un film vraiment qui m’encre et même dans mon univers.
Musique : En ce moment j’écoute Paak Anderson. Dans la vague hip hop mélangé à divers choses comme de la soul.
Remerciements à Tony Valente pour son temps, Ankama et Clémentine pour cette interview.