Il en aura fallu du temps pour retrouver notre chauve-souris préférée à la tête de son propre film. Après la trilogie culte de Nolan qui a tiré sa révérence en 2012, c’est en 2016 que revient le chevalier noir dans le très critiqué Batman vs Superman, interprété par Ben Affleck, sous la direction de Zack Snyder. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’après ça, le playboy milliardaire a connu beaucoup d’impasses… Une brève apparition dans Suicide Squad, une conclusion foireuse dans Gotham, un passage à vide côté Titans et le tristement célèbre Justice League pour enfoncer le couteau dans la plaie. Ce n’est que lorsque la Snyder Cut de ce dernier sort qu’il retrouve ses lettres de noblesse mais ce n’était franchement pas assez. Il fallait plus, bien plus pour redorer le blason de celui qui fait trembler Gotham, aussi bien le jour que la nuit.
Devenir l’inconnu
Lorsque l’on pense à Batman, on pense forcément à la nuit, la pénombre, l’obscurité. Tant de mots qui font partis de la mythologie du personnage et ça, Matt Reeves le sait pertinemment. Dès la première vidéo postée il y a quelques années, où l’on apercevait Robert Pattinson, s’avançant lentement vers la caméra et dévoilant ainsi son costume, le tout accompagné d’une lumière rouge et de la musique de Michael Giacchino, on avait déjà une idée de l’ambiance qu’on allait retrouver dans le long-métrage. Un film noir, c’est la promesse que nous faisait le réalisateur en nous proposant une enquête dans les rues de Gotham. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne nous a pas menti.
C’est ainsi qu’il loue les services de Greig Fraser, directeur de la photographie, qui a pu démontrer ses talents dans des productions comme Rogue One, Vice ou Dune plus récemment. Si ce dernier est applaudi pour sa photo très lumineuse, Fraiser change ici de registre en travaillant sur le clair-obscur et la nuit. Reeves et lui parviennent donc à faire de cette noirceur la force de Batman. Il se fond dans cette obscurité et en fait son principal atout, si bien que les délinquants n’ont pas tant peur du justicier en lui-même mais de l’idée qu’il puisse se terrer dans l’ombre. Ils sont effrayés par l’inconnu, plus que le personnage.
Cependant, Fraser ne se contente pas de s’approprier les codes couleurs du détective, il les déforme et tente d’apporter une colorimétrie plus viscérale. Si Nolan avait intégré des sous tons orangés dans ses plans, Fraser prend carrément le rouge et l’intensifie au point de le faire jurer avec le noir. Ce choix n’est pas anodin, la passion, l’amour, le sang, la colère, tant d’émotions sont reliés à cette couleur et toutes sont bien présentes dans le film.
Une Gotham malade
Jamais la ville n’a été aussi réelle et hors du temps. Nolan souhaitait crée une Gotham réelle que l’on aurait pu confondre avec Chicago ou une autre grosse ville des Etats-Unis mais ici, Matt Reeves a emprunté le chemin inverse. C’est paradoxal puisque sa ville est beaucoup plus fantaisiste que celle du réalisateur de Batman Begins mais on a l’impression de pouvoir la toucher et y aller. Gotham est une ville malade, aussi bien politiquement que socialement. C’est une ville qui semble si triste qu’on a l’impression qu’elle crie à l’agonie et ne cesse de pleurer. Il y fait toujours moche, le ciel est gris, tout semble maussade alors que c’est un endroit avec beaucoup de potentiel économique, en témoigne la présence de la Wayne Tower et de ces immenses bâtiments. Mais rien n’y fait, Gotham est rongée de l’intérieur et ce depuis longtemps, par la pègre, la police, les politiciens, si bien que même les citoyens ont perdu espoir. Toutes ces choses se retranscrivent grâce au travail fait autour de cette ville chaotique. Le côté gothique avec le manoir Wayne qui s’oppose aux bas-fonds qui semblent sales, poisseux et crades se marient vraiment bien et servent le propos du film qui confronte plusieurs visions différentes : celle de Batman, de Catwoman et du Riddler.
Un miroir, trois vengeances
Nietzsche disait : « Quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde de ne pas devenir monstre soi-même. Si tu regardes longtemps dans l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi« . Cela n’a jamais été aussi vraie que dans The Batman. Nos trois personnages principaux résonnent les uns avec les autres. Ils ont tous les trois une haine indescriptible d’une société qui a brisé quelque chose en eux et qui leur a tous fait prendre un chemin différent. Commençons par nous attarder sur le plus gros poisson : Bruce Wayne.
- Une vengeance destructrice
On le retrouve lors de sa deuxième année dans sa guerre contre le crime. Son âge n’est pas donné mais si l’on se base sur les comics, il tourne autour des 24 ans. Il s’agit donc d’un Bruce très jeune, à l’opposé de tout ce que l’on a pu avoir auparavant. C’est cette jeunesse qui va être tout l’intérêt du film puisqu’il ne sait pas encore qui il est, aussi bien en tant que justicier qu’en tant qu’héritier des Wayne. Personne ne le surnomme « Batman » si ce n’est le Riddler, à croire qu’il développe son identité grâce à lui. Bruce lui-même ne se fait pas appeler comme ça mais plutôt comme étant « Vengeance », un terme que reprendra Selina plus d’une fois. Il n’est pas motivé par le bien-être de la population comme l’est habituellement Batman. Au contraire, ses actes sont purement égoïstes, comme pour atténuer cette douleur par le biais de la violence. Bruce souffre toujours de la perte de ses parents ce fameux jour et le seul moyen de réduire un temps soit peu cette douleur, c’est de l’infliger aux autres, aux criminels. C’est un personnage très humain que nous montre Reeves, un homme qui est perdu et qui ne réalise pas l’amour qui l’entoure, notamment celui d’Alfred, ou les responsabilités qu’il a, en tant que Wayne. C’est une boule de haine à la limite de la misanthropie qui n’hésite pas à tout rejeter autour de lui et à se focaliser sur cette vendetta qu’il a lancé, se noyant dans cette obsession. A l’instar de Telltale Games dans leur jeu Batman, le film met véritablement en avant la confrontation des deux identités de Bruce qui n’arrivent pas à coexister, l’une prenant le pas sur l’autre. Mais dans The Batman, c’est le justicier qui parvient à faire évoluer le milliardaire. Robert Pattinson incarne donc un chevalier noir plus dépressif, en proie à ses émotions, qui s’intègre parfaitement dans un mouvement grunge qui est également représenté par la chanson officielle du film, Something in the Way de Nirvana. Ses mèches sombres lui tombant devant les yeux, ce maquillage noir autour des yeux, cette voix-off, chose inédite dans les films du détective, sa façon de se mouvoir dans son costume, tout transpire le mal être. Bruce Wayne n’aime pas qui il est, n’aime pas sa condition, et peine à aimer quelqu’un d’autre…
- Une vengeance réparatrice
Certains fans de comics associent Talia Al’Ghul comme étant le grand amour de Bruce mais il n’en est rien. Depuis 1940, c’est et ce sera toujours Selina Kyle qui occupera les pensées de l’héritier des Wayne. On aurait pu avoir peur quant à l’utilisation du personnage puisque depuis Michelle Pfeiffer (Batman : Le Défi), on n’a pas eu d’interprétation digne de ce nom. Entre une Anne Hathaway à l’ouest et une Halle Berry qui n’a retenu que le « sexy » dans le descriptif du personnage, autant dire qu’on n’était moyennement rassuré. Grand bien nous en fasse, le personnage n’est pas là juste pour respecter un quota ou pour dire « Vous avez-vu ? On a une femme forte ! Ca fera 19,99€ pour la poupée, merci ». Non, Catwoman a une importance capitale, aussi bien au niveau de récit que dans l’évolution de Batman. Elle, comme les autres personnages ne servent pas de vitrine pour décorer autour du chevalier noir. Très proche de la Selina d’Année Un de Frank Miller, Zoe Kravitz sublime le rôle grâce à son charisme naturel. Elle n’a pas besoin d’en faire trop, elle incarne parfaitement la femme-chat, encore un très bon choix de la part du réalisateur.
Si Bruce joue le rôle de l’orphelin riche qui a tout perdu, Selina est à l’opposé en étant la petite fille qui a vécu dans les bas quartiers de la ville et qui a dû se battre pour obtenir ce qu’elle voulait et surtout survivre. Avant qu’on ne se dise qu’il était peut-être temps de donner de la profondeur au personnage, Catwoman n’était rien de plus qu’une voleuse habile et jolie qui servait de love interest pour Batman. Tout comme Robin, elle était plus là pour habiller le héros qu’avoir un vrai rôle. Il aura fallu attendre près de quatre décennies pour que Frank Miller lui donne un passé beaucoup plus recherché et travaillé. Ainsi, dans Année Un, on découvre une Selina plus investie dans la protection des femmes, notamment des travailleuses du sexe ainsi que des orphelins, une mission qui la suivra durant des décennies. Cependant, il y a une chose importante à noter, Catwoman a beau avoir des idéaux nobles, elle n’en reste pas moins une femme qui est prête à tout pour atteindre ses objectifs. Beaucoup la cataloguent comme étant un villain mais c’est beaucoup plus compliqué que ça et le film nous le montre bien. Elle est là pour protéger les siens et n’a pas une once de morale lorsqu’il s’agit de faire payer aux criminels leurs méfaits. C’est une femme tiraillée entre l’envie de justice et de vengeance, de façon beaucoup plus prononcée que son « Bat ».
La relation qu’entretiennent les deux est aussi très présente dans le long-métrage sans trop en faire. Batman et Catwoman, c’est une histoire d’amour qui dure depuis maintenant plusieurs décennies et qui n’a jamais été aussi bien écrite que dans le récent run de Tom King, Batman Rebirth. Reeves ne s’est très certainement pas inspiré de ça pour son œuvre mais il est intéressant de le mentionner tant il a mis ce que les fans appellent « BatCat » au rang de couple mythique (plus qu’il ne l’était). Certains s’étaient pris au jeu comme Jeph Loeb avec Silence ou Un Long Halloween mais personne ne l’a approfondi comme l’a fait Tom King. Il y décrit un amour fusionnel mais fragile à cause de l’obsession de Batman. C’est cette même fragilité que l’on retrouve dans le film. Tantôt à jouer au jeu du chat et de la souris, tantôt à se battre, Batman et Catwoman semblent ne pas pouvoir coexister. Elle, elle est têtue et impulsive mais en même temps très sensible tant dans ses actions que ses choix. Lui, il n’est motivé que par cette vengeance destructrice et se refuse à goûter à un bonheur qui lui tend les bras.
- Une vengeance rédemptrice
Un bouffon, un rigolo, une blague, non on ne parle pas du Joker mais de comment a toujours été perçu celui que l’on appelait l’Homme-Mystère. Il faut dire qu’au cinéma, le personnage n’a jamais été bien sérieux. On remercie Jim Carrey pour son excellente performance qui s’inscrivait dans un film burlesque, ce qui aidait à avaler la pilule mais on a toujours rêver d’un Riddler plus sombre, plus effrayant. La série Gotham était parvenue à nous proposer un Nygma intéressant mais à l’image de l’entièreté du show, tout est parti en fumée. C’est dans ce contexte que Reeves choisit, en se basant sur le Tueur du Zodiaque, célèbre tueur en série connu pour avoir envoyé des indices aux chaînes de télé et à la police, le fameux Sphynx comme antagoniste principal. L’intrigue est un miroir pour se regarder les uns les autres et Edward Nashton, de son vrai nom, en est la dernière pièce. Tout comme les deux précédents protagonistes, le Riddler nourrit une haine féroce contre la société et Gotham. Contrairement à eux, il décide de s’en prendre directement à elles en commettant une série de meurtres qui terrifiera la population. Il ne souhaite pas créer le chaos par pur plaisir comme pourrait le faire un certain clown mais aspire plutôt à nettoyer la ville de ses pêchés. Il veut mettre à nu la faiblesse et la souillure qui sévit à Gotham et se portraie comme étant la voix d’une population soumise et impuissante. Visuellement, le Riddler est plus que convaincant, rien qu’avec sa première apparition. Il occupe toujours le cadre grâce à des plans très serrés afin de donner une sensation de malaise. Certains détails dans le jeu d’acteur renforce ce sentiment de gêne, comme lorsque Paul Dano se met à baver en parlant. Toute la mise en scène autour de lui est efficace et il parait encore plus terrifiant lorsqu’il n’a pas son attirail de méchant, quand il est juste… un civil. L’inspiration du tueur en série prend encore plus de sens à ce moment-là, dans son quotidien, quand il fait quelque chose de normal. Comme on le dit souvent : « ça aurait pu être n’importe qui ».
Autant dire qu’on pourrait s’attarder sur bien d’autres aspects du film comme sa musique qui est certainement l’une des meilleures depuis ces dernières années, ou encore d’autres personnages comme le Pingouin qui est brillant et là aussi, la meilleure incarnation du personnage. Sans oublier Gordon qui est aussi excellent et sa relation avec Batman est quasi parfaite. Il y aurait encore énormément de choses à dire sur l’aspect « enquête » qui permet de nous livrer un chevalier noir à la base même de ce qu’il est : un détective et non un super-héros. Un simple être humain, naïf et fragile dans sa violence.