Après le succès de Silent Voice et de son animé, qui se prévu pour août dans nos salles françaises, Yoshitoki Oima, invitée à la Japan Expo, nous fait la promotion de son nouveau manga chez Pika Editions, To Your Eternity.
Vous avez souvent déclaré votre amour pour l’auteur de 3×3 Eyes, hormis la thématique de l’immortalité, qu’avez-vous appris sur le plan technique auprès de Yûzô Takada ?
Sur l’aspect graphique, dans le travail de l’auteur, je dirais que ce serait plus la partie technique lié à la musculature, je trouve qu’il y a une certaine souplesse. Dans les scènes d’actions, il y a une vraie texture et de chaleur qui se dégage dans les scènes. Ce manga, je l’ai lu lorsque j’étais écolière moi-même, donc assez jeune, même si je ne comprenais pas vraiment le contenu. Mais sur le plan graphique ça eu une influence très forte.
Silent Voice a-t-il permis d’améliorer la condition des malentendants au Japon ?
A ma connaissance, il n’y a pas eu d’influence directe aussi importante. Mais par contre, je pense que le manga a pu apporter un débat qui a permis aux personnes de s’intéresser au sujet, d’y discuter et de montrer leur mécontentement du traitement à l’égard des sourds et des malentendants. Même si ça n’a pas eu de répercussions administratives. Je dirais que le plus gros apport du manga est d’ouvrir le débat et de chercher des solutions sur ce sujet qui n’avait pas lieu avant.
L’univers de To Your Eternity tranche avec l’univers de Silent Voice, avez-vous eu une réelle envie de changer d’univers ?
En vérité, c’est un projet qui date d’assez longtemps, parce j’ai eu l’idée de ce manga bien avant de proposer mon premier one shot à l’éditeur, première esquisse de Silent Voice. Puis j’ai travaillé sur le projet de Mardock Scramble, puis la série Silent Voice, mais j’ai gardé l’idée de travailler sur un univers fantasy. Il se trouve que les thèmes que j’ai abordés dans Mardock Scramble et Silent Voice, ont une continuité sur des personnages en souffrance, c’est donc comme ça que j’ai voulu faire une série dans le prolongement, donc To Your Eternity.
Est-ce un choix de votre part d’entourer Imm, seul personnage principal, de personnages secondaires mourant très vite, ne permettant pas de développer leur psychologie et de s’attacher à eux bien qu’Imm continue à vivre à travers eux ?
Oui vous avez raison, il y a un risque. J’ai tout à fait conscience que le lecteur qui lit le manga réalise qu’un personnage va arriver et va apporter quelque chose à Imm, et qu’il va mourir et cela va se répéter. Donc dans ce schéma-là, je comprends la frustration mais elle est volontaire.
Comment est née le personnage d’Imm ? Quelles ont été vos idées pour le créer ?
L’aspect physique du personnage, c’est une idée qui remonte à longtemps, j’avais déjà en tête ce personnage quand j’étais au collège. Sur l’aspect de l’immortalité, il est dû au personnage de 3×3 Eyes. C’est un thème que j’ai choisi car je voyais cette série comme une sorte de prolongement dans les thèmes que j’ai fait dans mes œuvres précédentes. A savoir que dans Mardock Scramble, le personnage principal a des très fortes tendances suicidaires, thème qu’on retrouve dans Silent Voice lorsque Shôko à tenter de ce suicider. Mais ce qui m’intéressait surtout, c’est le fait d’avoir des personnages qui se retrouvent en situation d’échec par rapport à ce qu’il voulait devenir et que la dernière solution face à cet échec est le suicide. Or, un personnage qui est immortel est privé de ce choix-là à partir du moment où il s retrouve coincé et n’arrive pas à atteindre l’objectif fixé, s’il est immortel, il n’pas la possibilité de mettre fin à ces jours. En quelque sorte, je le fais souffrir de manière consciente, c’est une sorte de reproduction de ce que je pourrais ressortir, à savoir que moi je considère, que mettre fin à ces propres jours ne doit pas être un choix.
Dans vos influences, aviez- vous lu des bandes dessinées américaines ?
Dans les bandes dessinées, je ne suis pas très calée, mais j’ai chez moi deux recueils de bande dessinée en japonais qui sont dans un magazine appelé Euro Manga, qui est sorti au Japon et qui est une compilation, qui publie plusieurs bandes dessinées séparé en quinze vingt page qui se suivent, dans lequel a été publié Black Sad qui est un ouvrage formidable. Le dessin est une tuerie. Les comics américains? j’en possède mais qui sont en anglais et non traduite en japonais donc je les ai acheté par intérêt pour le dessin mais je n’ai pas lu le texte. Aussi le titre Saga qui a eu de nombreux prix.
Placez vous une importance sur la représentation de l’enfance dans To Your Eternity ? On rencontre beaucoup de personnages juvéniles comme March ou Boo-Boo. Implicitement, devrions nous comprendre que nous devons apprendre des enfants ?
Les personnages d’enfants ont un côté très pratique quand on raconte une histoire. Par essence, les enfants sont des personnages incontrôlables et réagissent sur le coup des émotions et non réfléchi et que dans le cas de To Your Eternity, en fonction de l’environnement auxquelles je place Imm, avoir des enfants à ses côtés, est très pratique pour faire évoluer une situation en dehors des codes de la raison. Quant aux raisons profondes de l’emploi d’enfants, il y en pas particulièrement que je voudrais évoquer ici maintenant, peut-être dans le futur.
Dans la réception de To Tour Eternity chez le lectorat français, on trouve souvent la notion philosophique qui est ressenti et qui est assez original dans un shônen. Que pensez-vous de cette remarque ? Egalement, vous êtes-vous inspirez d’un personnage tiré d’un livre ou d’un film pour le personnage d’Imm ?
Sur l’aspect philosophique, j’avoue que l’association shônen manga avec aspect philosophique rebute les lecteurs. Je me doute que ça le fasse peur, mais j’ai du mal à approuver ce genre de critique. Néanmoins, en terme d’influence, quand je regarde un film j’adore cherchez quel est le sens que le créateur du film a voulu donner à l’histoire qu’il raconte. J’ai eu l’occasion d’en parler dans la conférence, d’un film qui m’a influencé notamment pour Silent Voice « La promise » qui parle d’un vieil homme qui rencontre un jeune garçon et les deux communiquent essentiellement par le regard et très peu par la parole. Etc’est vraiment quelque chose que j’ai voulu rendre dans Silent Voice.
Silent Voice et To Your Eternity véhiculent des messages de tolérance de différentes manières. Quelle importance accordez-vous d’en parlez dans vos œuvres ?
Pour moi chacun de nous vit dans un environnement différent et qu’on a pas vécu la même chose. Par expérience, je sais qu’on peut ne pas comprendre les autres simplement parce qu’on est issu d’environnement différent. Mais ce qui peut être salvateur, c’est justement cette notion de tolérance d’acceptation et d’entraide. C’est justement ce qu’on retrouve dans les mangas pour ados shônen, donc c’était important de traiter de ce thème-là.
Dans les débuts de To Your Eternity, on peut lire cette citation : « Ne pas pouvoir mourir est une malchance, quel sens donné à la vie si elle ne se termine jamais ? ». Est-ce votre pensée que vous partagez ou une interrogation ?
Je ne sais pas si je suis d’accord ou non. Peut-être.
On a l’impression que vous avez peur de la mort à travers l’œuvre mais que vous la jugez quand même comme une solution.
Pas tout à fait. Ce n’est pas évident. Globalement, c’est surtout la représentation d’un souhait sur ce que vous représentez à travers l’œuvre lié à la mort sur mon souhait de ce que pourrai être la mort. Et ce qui pourrait être apporté, comme un côté salvateur, plutôt que de souffrir éternellement mieux vaut mourir. J’exprime mon sentiment de culpabilité d’exprimer ce message : la culpabilité de représenter la mort comme quelque chose de salvateur. C’est plus l’expression d’un souhait mais ce n’est pas vraiment ce que je pense.
Que pensez vous des deux titres internationaux de Silent Voice et To Your Eternity car la traduction est différente suivant le titre japonais (Koe no Katachi) et (Fumetsu no Anata E) respectivement et présente différentes nuances ?
Je ne comprends pas l’anglais donc j’ai confiée cela aux personnes de Kôdansha qui sont bien meilleur en anglais que moi (rires). Je sais qu’au départ c’était Shape Of Voice qui été choisi, car des personnes ont manifesté leur désapprobation du titre Silent Voice mais je n’étais pas du tout calée sur cela.
Shape Of Voice n’est-il donc pas plus adapté ? Car la forme reflète plus un moyen d’expression que le silence.
C’est vrai, c’est peut-être un petit peu dommage.
Le thème de la tolérance est important dans chacune de vos œuvres, les brimades dans Silent Voice, la mort omniprésente dans To Your Eternity. Ces thèmes sont abordés d’une manière assez sombre et pessimiste. Pourquoi ce choix ?
C’est assez simple enfaite, c’est l’expression même de ma propre personnalité. Elle n’est pas ultra joyeuse mais je pense que je suis assez réservée et je vais naturellement dans l’expression de ce type d’histoire.
Est-ce une manière d’extérioriser vos sentiments ?
Oui il y a une forme de délivrance ou je suis dans la recherche de l’apaisement. Couché cela sur un papier, le dessin est un apaisement.
Avez-vous d’autres thèmes de société qui vous tiennent à cœur et que vous vous voudriez traiter ?
Je sais pas si c’est des thèmes différents ou des problèmes de société différents de ceux que j’ai abordé jusqu’à présent, mais dans To Your Eternity, ce qui m’intéresse c’est de traiter des personnages qui cherchent à devenir quelqu’un, qui cherchent à atteindre un objectif mais qui n’y arrive pas et qui doivent trouve la manière de faire face à cela, d’affronter cette situation d’échec. Cela peut correspondre à ce qu’on peut trouver dans la société moderne, ou beaucoup de gens essaient de changer, de devenir quelqu’un et la seule réponse qu’ils ont à leur souffrance c’est les efforts. Avec des efforts, tu réussiras à changer, tu arriveras à passer ce cap. Le fait est que justement, il n’y arrive pas à fournir ces efforts, qu’ils souffrent et parfois ils choisissent des voies qu’ils ne devraient pas choisir. C’était déjà quelque chose j’avais déjà envie de transmettre dans Silent Voice mais j’ai eu l’impression, par rapport aux avis que j’entendais sur la série, que je n’avais pas bien réussie à transmettre cette idée-là donc j’essaye de l’approfondir dans To Your Eternity. Pour les thèmes de société importants, c’est le seul que j’ai en tête.
Quelles raisons vous a poussé à devenir mangaka ?
Il n’y a pas de raisons profondes. Le fait est que je suis née au moi de mars, ce qui sous-entends au Japon ,que dans une classe j’étais la plus jeune car l’année scolaire commence en avril. De fait, on est souvent la personne qui sait moins bien faire les choses que les autres parce qu’on a acquis moins de choses. Quand on arrive dans une société, on est le plus jeune aussi, le dernier arrivé. On se retrouve dans une situation où l’on sait moins bien faire, on n’a pas confiance en nous. Du coup, je me retrouvais seule dans son coin à gribouiller puis ces gribouillis sont devenus des dessins et je me suis rendu compte que je ne me voyais pas faire autre chose que du dessin plus tard. L’envie de dessiner à précédé celle de devenir mangaka. Je ne me suis pas dit je vais devenir mangaka donc je vais dessiner. Cela semblait une évidence car je ne me voyais pas faire autre chose.
Vous aviez dit plus tôt que le dessin vous apaise. Etes-vous en colère ?
Le dessin est une forme d’apaisement qui est pas nécessairement une réponse à la colère. C’est plutôt l’inverse où si on m’enlevé la capacité de dessiner ça me met en colère. A titre d’exemple, quand j’étais à l’école primaire, il y avait un club de dessin où je voulais y entrer mais pour cela, il fallait nécessairement entrer dans le club de sport. Le sport c’était pas ma tasse de thé, et donc, je suis allé voir le directeur pour lui dire que ce n’était pas juste. J’étais très en colère de ne pas pouvoir y accéder à cause d’une cause externe. Le dessin m’apaise mais c’est aussi une source de stress.
Dans Silent Voice vous avez placez la narration autour du personnage principal Shôya, sous la position d’agresseur. Et dans To Your Eternity, le personnage principal d’Imm, ignore tout du monde au même titre que les lecteurs. Pourquoi ces choix peu conventionnels ?
Il y a un lien entre les deux séries. A savoir que dans Silent Voice, Shôya qui est le bourreau à la fin de l’histoire a résolu une partie de ses problèmes de communication avec Shôko, ainsi que se problèmes sentimentaux. Mais, même si le manga se termine là-dessus, de mon point de vue, l’un et l’autre sont très loin de les avoir résolus et vont devoir faire face à leurs difficultés encore plus maintenant et probablement jusqu’à leur mort. Dans l’histoire, à partir du moment où Shoko à tenter de se suicider, elle a fait le choix de la mort et elle prive Shôya de ce même choix. Shôya devient un personnage principal qui n’a plus le droit de la mort, ou je l’interdis. Et sous cet aspect-là, il rejoint le personnage d’Imm, qui lui, n’a pas accès a ce choix de la mort, même s’il a un rôle plus passif. Le lien entre les deux se fait à ce niveau-là.
Comment organisez- vous votre semaine pour la réalisation d’un chapitre ?
De manière assez succincte, sur une semaine de travail, normalement je devrais consacrer seulement quatre jours à la réalisation propre des planches. Il se trouve qu’aujourd’hui, je suis plus sur un rythme de cinq jours de travail plein, pendant lesquels mes assistants travaillent avec moi. Avant cela, il y a deux jours que je consacre à des réunions avec mes responsable éditoriaux et la réalisation de mes nemu (storyboard).
Dans To Your Eternity, on sent que la faune et la flore est assez présente. Y-a-t-il un message écologique derrière ?
Je n’ai pas de messages particulièrement écologiques à faire passer, c’est vrai où j’ai eu une période où je m’intéressais à l’écologie sous l’influence de dessin animé, qui sont un des thèmes qui m’a intéressé. Mais ce n’est pas le message que je fais passer dans le manga.
Cela ressort involontairement peut-être ?
Peut-être.
Il y a plusieurs scènes dans To Your Eternity qui sont dépourvus de dialogue, onomatopées ou la narration passe par l’image. Comment arrivez vous à une technique de découpage telle ? Avez-vous été influencée par des auteurs ?
Ce sont des scènes sans dialogue ont une utilité pour plusieurs fonctions. Certaines sont destinés à ralentir le temps, quand je veux que le lecteur s’attarde sur le dessin et qu’il prenne le temps de voir le dessin et regarde ce qu’il se passe dans les dessins plutôt que lire le contenu dans les bulles. Je réduis au minimum la quantité de texte de manière à attirer l’attention du lecteur sur autre chose. Parfois à l’inverse, ce sont des scènes d’action ou des scènes qui doivent avancer rapidement. Je pense que ce sont des techniques qui ne me sont pas propres et qu’on retrouve dans beaucoup de mangas.
Le personnage d’Imm est très naïf mais peu se transformer à volonté. Est-ce que ce genre de personnage est-il contraignant au scénario ou au contraire facilite les choses ?
Oui il est naïf mais il perd sa naïveté au fil du temps. Le fait qu’il soit naïf n’est pas un avantage mais c’est dans son processus d’évolution. Aujourd’hui, au chapitre 71, c’est un jeune adolescent beaucoup moins pur de ce qu’il était au début du récit.
La construction du récit à partir de ce personnage est donc un joker ?
Au niveau de la narration ce ne me pose pas de problème en particulier car le personnage d’Imm dans un shônen manga, publié dans un shônen magazine, lu par des lecteurs habitué a avoir des attentes propres liés aux héros des adolescent c’est-à-dire, des héros qui sont plus beaux qu’eux plus forts et pour qui ils vont nourrir une forme d’admiration, au départ Imm ne génére pas ce type de sentiment. Au contraire chez le lecteur, Imm est un facteur de frustration car il n’a pas de conscience propre et il exprime pas beaucoup de chose et moi volontairement je n’aide pas beaucoup le lecteur à comprendre quel type de comportement peut avoir Imm , dans les commentaires que j’ai pu recevoir à l’époque. C’est pourquoi, elle nous explique rien , on sait pas pourquoi il fait ça et c’était parfaitement volontaire. De mon point de vue, en tant qu’auteur de l’histoire, je trouve ça bien plus classe de mettre en scène ce personnage-là.
Merci à Clarisse de Pika Editions, et aux nombreux médias qui ont participé à la conférence.