En ces temps pandémiques, l’exploitation des salles de cinéma connaît une crise sans précédent. Après l’échec retentissant de Tenet, les studios tremblent à l’idée de sortir leurs plus gros films. Le dernier James Bond, Wonder Woman 1984, Mort sur le Nil, on ne compte plus le nombre de blockbusters qui ont vu leur sortie décaler en fin d’année ou même à l’année prochaine. Du côté de Disney, on ne prend même plus la peine de repousser quoi que ce soit puisque la maison de Mickey a décidé de privilégier sa plateforme de streaming, Disney+. C’est dans ce chaos ambiant que certains distributeurs en profitent pour proposer des films qui, au premier abord, pourraient sembler mal partis pour ameuter les foules. C’est le cas notamment avec des productions françaises comme Antoinettes dans les Cévennes ou encore des films d’animation japonaises comme Lupin the Third. C’est donc l’occasion parfaite pour se laisser tenter par des films qui sont souvent dans l’ombre des gros monstres américains et aujourd’hui, on vous propose de se pencher sur ce qu’on pourrait qualifier de plus grosse sortie d’octobre.
Initialement prévu pour être diffusé lors du festival de Cannes, faisant parti de la sélection officielle, Drunk, tout comme ses compères, s’est « juste » vu décerner un label qu’il peut arborer sur ses affiches promotionnelles. Il est d’ailleurs un des seuls, avec ADN ou Peninsula, à avoir vu le bout du nez des salles obscures, pour le moment. Le réalisateur, Thomas Vinterberg est un habitué du festival puisqu’en 2012, il présentait La Chasse, qui a permis à Mads Mikkelsen de remporter le prix d’interprétation masculine. Et oui, les deux se connaissent plutôt bien et le duo se reforme une nouvelle fois, huit ans plus tard pour un film qui nous fait du bien… et du mal.
Le cinéma danois est donc à l’affiche avec un film dont la bande-annonce nous faisait déjà vibrer avec le titre What a Life du groupe, on vous le donne en mille, danois, Scarlet Pleasure. Elle présentait déjà un film qui se veut être une comédie dramatique. Le pitch de départ est tellement débile qu’il en devient génial : des professeurs tentent une expérience folle, celle de boire de l’alcool durant leurs heures de travail afin d’améliorer leurs capacités. Sur le papier, ça parait assez grotesque mais à l’écran, c’est une réussite totale. La joyeuse bande d’amis se fixe donc comme objectif de se maintenir à 0.5 gramme d’alcool dans le sang, en suivant les méthodes de grandes figures historiques comme Churchill ou Hemingway, pour ne citer qu’eux. Vous vous en doutez bien, si l’expérience est un succès au début, bien vite, les choses vont commencer à déraper et les effets néfastes de l’alcool vont se faire ressentir aussi bien physiquement que mentalement.
Nos quatre protagonistes se ressemblent tout en étant très différents les uns des autres. Martin (Mads Mikkelsen) est le point central du récit. Il est le plus réticent au début, à l’idée de simplement boire de l’alcool lors d’une soirée entre amis. Marié et père de deux enfants, il est celui qui souffre le plus de la routine dans laquelle il s’est enchevêtré. Pour couronner le tout, ses étudiants le trouvent ennuyeux et doutent de leurs chances de réussite au bac tant ses enseignements sont pauvres et peu intéressants. Bien que ce soit Nikolaj (Magnus Millang) qui parle en premier de la citation qui dit que l’homme est né pour boire de l’alcool, c’est Martin qui se lance le premier dans l’aventure et entraîne par la suite ses collègues. En parlant de Nikolaj, ce professeur de philosophie est assez similaire à Martin du côté familial. Il ne s’entend plus trop avec sa femme, la routine s’étant installée entre eux. Il a du mal à s’occuper de ses enfants qui sont très jeunes et sa femme ne cesse de lui crier dessus. Tommy (Thomas Bo Larsen) est très certainement l’un des personnages les plus touchants et poignants du long-métrage. On comprend bien vite que ce prof de sport est en proie à la solitude. Il vit seul avec son chien pour seule compagnie et il est le coach du équipe de foot, de petits garçons. Avec ce profil là, on se doute bien que ce n’était pas sa vocation première et qu’il avait sans doute des rêves plus ambitieux. Le dernier de la bande, Peter (Lars Ranthe) est le plus « normal » des trois. Il ne semble pas avoir de problèmes particuliers mais ce n’est pas pour autant qu’il est sur le banc de touche. On ressent bien son envie de voir ses élèves réussir.
Avec un fond de comédie dramatique, le film nous peint le portrait de ces quatre professeurs, de leur déboires, leur vie professionnelle et personnelle. Si on se souvient de Climax de Gaspard Noé ou encore Requiem for a Dream de Darren Aronofsky qui nous avait traumatisé quant aux utilisations des drogues, Drunk ne sert pas d’images particulièrement fortes dans ce but. C’est même tout le contraire, Vinterberg ne souhaite pas être moralisateur et faire naître une propagande anti-alcool. Sa finalité n’est pas de nous en dégoûter. Il réussit habilement à être juste tout le long et n’émet aucun jugement. Il filme juste des faits qui arrivent fatalement lorsqu’on force un peu trop sur la bouteille. Il met en relief le danger de toujours vouloir plus, de ne pas se satisfaire de ce que l’on a. Certes, au début, les protagonistes se sentent bien mieux grâce à l’alcool mais « mieux » devient « pas assez », il faut plus. C’est à partir de là que les choses vont complètement basculer. L’entièreté du long-métrage est similaire à une soirée. Au début, on est hésitant, puis on prend un verre, deux, on se sent mieux, libéré et on en veut plus. Vinterberg met le poing sur la table en jonchant le film de scènes aussi touchantes que dramatiques. Au travers de leur expérience, les personnages vont apprendre à se découvrir entre eux. Ils se connaissent depuis plusieurs années, voire depuis l’enfance pour certains mais l’alcool révélera le meilleur d’eux, tout comme le pire.
A l’heure où le couvre-feu vient d’être annoncé, Drunk laisse un goût amer. Un film qui aborde le sujet de l’alcool, ça rappelle tout de suite les soirées entre amis, dans un bar ou chez quelqu’un. Même si à la rédaction, on est plutôt solitaires et casaniers, on ne peut s’empêcher de tiquer un peu à la simple idée de dire au revoir à nos dîners aux restos, entre autre. Le film reste tout de même une bouffée d’air frais dans cette année 2020 qui est plus que particulière. Loin d’être un film feel-good comme laisse suggérer les affiches, Drunk reste tout de même un très bon long-métrage. Même si on se doute bien que ce que les gens attendent le plus en salle sont des gros films comme Wonder Woman ou Kaamelott, force est de constater que ces grosses productions sont pour le moment gelées (pas encore pour Kaamelott, mais ce n’est qu’une question de temps avant que la date ne soit reportée). Saisissez donc cette occasion pour aller voir des films qui ne vous auraient pas intéressés en temps normal. On adore le cinéma américain chez les Illuminati mais il y a tant d’autres excellents films dans le monde entier et pour cette fois-ci, c’est le Danemark qui le prouve, ja !