Editeur: Ki-oon.
Genre: Seinen/Thriller
Auteur: Shuzo Oshimi
Je l’attendais déjà depuis un long moment, et c’est 12 janvier 2017 qu’il est enfin paru en France chez les éditions Seinen de Ki-oon. Shuzo Oshimi qui m’avait bluffé avec son manga « Dans l’intimité de Marie », revient en France et en force avec un manga antérieur : Les Fleurs du Mal.
Synopsis: Une ville de province banale, un collège banal, un quotidien banal. Takao, élève moyen et timide, se sent enfermé dans ce monde étroit. Il n’a qu’une échappatoire : la lecture. Il est surtout fasciné par l’étrangeté des Fleurs du mal de Baudelaire. Ce recueil est devenu son livre de chevet, tout autant que son moyen de se différencier dans un monde gris où tout le monde se ressemble. Il existe pourtant un élément de surprise incontrôlable dans son univers : Sawa, assise derrière lui en classe, refuse toute autorité en bloc. “Cafards !”, “Larves !” : elle ne rate pas une occasion d’exprimer sa haine et son mépris, même envers ses professeurs. Crainte de tous, elle est l’élément déviant de la classe.
Mais Takao préfère se concentrer sur la populaire Nanako. Il ne lui a jamais parlé et se contente de la regarder de loin. Alors quand il trouve abandonnés dans la salle de classe les vêtements de sport de l’objet de ses fantasmes, il ne peut s’empêcher de les ramasser… et de s’enfuir en les emportant, sur un coup de tête ! Pas de chance pour lui, Sawa l’a surpris en plein forfait… Avec un grand sourire, elle commence à le faire chanter : s’il ne veut pas qu’elle le dénonce, il doit obéir à ses ordres, même les plus fous !
On va découvrir le personnage Takao Kazuga, un collégien en seconde année, un collégien des plus banals, avec des résultats moyens, rien d’exceptionnel jusque-là. Sa particularité ? Il apprécie la littérature, un peu trop même, ainsi que Nanako Saeki dont il est amoureux, et qu’il considère comme son idéal féminin. Un après-midi, il tarde dans l’enceinte du collège, et c’est dans un concours de circonstances qu’il vole le t-shirt et le short de sport de Nanako. Dans la classe, l’histoire choque, et Takao stresse à mort à l’idée se faire démasqué. Et c’est le lendemain après les cours que tout bascule, il croise sur sa route Sawa Nakamura, sa camarade de classe assise juste derrière lui, seule, antipathique et assez intimidante. Elle révèle à Takao qu’elle l’a vu la veille commettre son crime, ce qui se révèle être le début des sales bricoles pour Takao…
Alors rapidement qu’est-ce que j’en ai pensé ? En premier lieu, il y a une note de l’auteur « Je dédie ce manga à tous ceux qui souffrent ou qui ont souffert des tourments de l’adolescence ». Cela m’a annoncé directement la couleur et j’avais certaines attentes pour ma lecture à venir. Heureusement, l’auteur nous offre un joli reflet de ce à quoi peut ressembler la vie d’un collégien moyen, et pas uniquement dans le contexte japonais. Stress lié à l’environnement scolaire, vivre son amour, la frustration sexuelle, l’isolement scolaire et familial, et de nombreuses thématiques s’entremêlent, et seront abordées avec brio. À travers le héros, j’ai rejoué dans ma tête certains moments de mon adolescence, similaire ou non, mais toujours avec ce sentiment de perplexité. J’étais plongé dans ma lecture, tellement le récit me paraissait immersif. L’auteur est attaché au surréalisme, l’ensemble des procédés de création et d’expression emploie le rêve, ou le sujet l’inconscient par exemple, tout en restant en opposition avec les valeurs établies et libres de la « raison ». Évidement, ceci n’est que mon humble avis, et à partir de ce moment, je vais devoir spoil pour continuer de donner mon avis, tu es donc prévenu. Encore là ? Alors c’est parti pour la suite !
Comme je le disais, l’impression que j’ai eu lors du récit était principalement de la frustration amoureuse (sexuelle ?), et le fait de refouler ses émotions. En plus d’avoir volé des affaires de sports, il ne parvient pas à s’en débarrasser, ressentant le sentiment d’avoir en sa possession une partie de son amoureuse chez lui. Même lorsqu’il souhaite oublier, et avancer, il gardera les affaires dans une boite planquée dans sa chambre. Si ce n’est pas l’image même de refoulée un souvenir, dites-moi ce que c’est ? Pas convaincu ? Plus haut, je vous disais qu’il aimait un peu trop la littérature, au début on se dit « Oh il a une passion peu commune pour un collégien », ensuite on trouve qu’il force un peu trop avec ça, mais enfin, on comprend que c’est en réalité sa bulle protectrice. Le stress qu’il vit est tellement intense que pour échapper aux regards pesants de sa classe, il plonge directement le nez dans « Les Fleurs du Mal » de Baudelaire, son livre favori. On sent que notre héros ressent de la gêne face aux gens, mais ce qui est cool c’est que même s’il s’y prend mal au début, le héros a une envie d’évoluer.
Ensuite le gros kiff, mais aussi ce qui m’aura fait suer comme un malade, c’est le personnage de Sawa. Une fille isolée, violente dans ses mots, considérée par les autres comme de la vermine moins que rien. Elle est assez flippante dans les premières cases ou elle apparait, mais c’est lorsqu’elle accuse Takao d’être un « pervers aussi », et le forcera à faire des choses, qu’on comprend qu’elle ne vit pas dans la même réalité que celle des autres. Elle est à la fois intimidante, mais aussi charmeuse avec des moments d’incompréhension ou le point de vue du héros est totalement chamboulé. Cette fille vous fera suer, elle vous glacera le sang, mais d’un autre côté elle est mystérieuse donc on souhaite la découvrir, c’est assez paradoxal.
À part ça, le dessin est bon, un soin particulier est mis dans l’expressivité des personnages. On comprend ou suppose instantanément les émotions et les réactions des personnages. C’est assez classique dans le monde du manga, cependant l’auteur tranche avec ce genre épuré lors des moments de stress ou de doutes de Takao. Mais le plus incroyable c’est la mise en scène qui provoque chez le lecteur une réaction voulue et préparée par l’auteur. Les angles de vues servent tout autant la narration, et surtout la découpe des cases qui s’adapte au rythme et à l’ambiance de l’action, tous ses éléments sont maitrisés et utilisés de manières efficaces. À un moment, le rythme devient effréné, et les cases s’enchainent en même temps que le stress du héros, tout comme le nôtre qui monte vite. On tourne la page, et BIM ! Une magnifique double page douce qui vient nous apaiser l’esprit. J’appréciais déjà cet aspect dans son manga « Dans l’intimité de Marie », mais ce que j’ai apprécié dans l’œuvre, c’est le rapport au ressenti des personnages à travers ce qu’ils refoulent. Le refus d’exprimer ce qu’ils ressentent, et le fait d’accepter d’extérioriser volontairement ou non leurs émotions, tout cela est aussi à mettre dans un contexte qu’il ne faut pas oublier, le fait qu’il s’agisse de collégiens en plein dans les tourments de l’adolescence, et que l’auteur leur dédie entièrement son œuvre.
Auteur qui est en vérité un sacré escroc comme je les aime. Non pas que ce soit un arnaqueur, mais par son franc-parler, il extériorise beaucoup certains événements du passé lors des pages bonus, des faits parfois gênants, mais qui nous aide à comprendre sa démarche artistique. Je sens que je vais un peu trop loin donc je vais conclure. Entre deux manga ou des mecs vont se fight à coups de lasers et de kamehameha, une petite lecture pleine de sens fait archi plaisir. Donc s’il vous plait, lisez Les Fleurs du Mal.