Dans le cadre du Salon du livre de Paris 2017, nous avons eu la chance de rencontrer une nouvelle auteure, Chie Inudoh, inaugurant son premier manga publié en France et premier tome de la nouvelle collection Ki-oon : Kizuna.
Comment avez vous rencontrez le personnage d’Hatchepsout ? Cherchiez vous une femme forte sur laquelle faire une histoire, où l’avez-vous choisie directement pour en faire une histoire intéressante ?
Chie Inudoh : Comme je suis une femme, je m’intéresse aux personnages féminins. Lorsque je faisais des recherches sur des femmes qui ont laissé une trace dans l’histoire, je suis tombée sur Hatchepsout. D’autant plus qu’au Japon, elle est désignée comme « la reine aux attributs masculins », ce qui est une définition qui m’a interpelé.
On sent beaucoup de points communs avec « Aton no Mususme » de Machiko Satonaka. On y parle de Néfertiti, donc de l’Egypte et graphiquement il semble y avoir des similitudes. Cela fait partie de vos influences ?
Chie Inudoh : Le titre dont vous parlez n’est plus disponible en version papier. Je l’ai trouvé en base digitale lorsque je faisais mes recherches sur des mangas existants sur l’Egypte. Cela ne m’a pas vraiment influencé car j’avais déjà décidé de faire « Reine d’Egypte ». Ce qui m’a marqué par contre c’est du même auteure, « L’Aurore de la mer », qui parle d’Hatchepsout mais de manière négative : c’est la méchante qui brime l’héroïne. Moi j’avais plutôt envie de parler d’elle sous un jour positif.
Quelles sont les principales libertés prises dans le manga ?
Chie Inudoh : Hatchepsout a beaucoup de zone d’ombre parce qu’on ne connaît pas tout sa vie car c’est beaucoup trop ancien. Au final, il y a 20% de réalité historique et 80% de fiction. Il faut savoir qu’un manga est œuvre de divertissement, donc j’ai d’abord essayé de faire en sorte que ce soit plaisant à lire, avant de coller simplement à la vérité.
Sur les 20% historique, justement, comment se fait votre travail de recherche ? Comment avez-vous développé cet univers ?
Chie Inudoh : C’est vrai qu’il y a peu d’informations en japonais sur Hatchepsout, j’ai dû trouver des informations dans divers livres, pas forcément spécialisées sur elle. Il y a un ouvrage sur les reines du monde qui mentionne Hatchepsout et cela m’a pas mal servi. Après je ne peux pas complètement les lire mais j’ai utilisé aussi pas mal de livres étrangers.
« Reine d’Egypte » est votre troisième manga, dans les deux précédents, il était déjà question de deux femmes de caractère. Qu’est ce que vous vouliez transmettre à travers ce personnage d’Hatchepsout ?
Chie Inudoh : Hatchepsout était une reine dont le nom a été effacé sur une période. Il y avait pas mal de bruit qui courait sur sa relation avec Senmout. Elle a une image aussi bien positive que négative, et c’est ce qui la rend très humaine au final : elle a les mêmes faiblesses que n’importe qui. Donc c’est un thème très universel, qui parle à tous les lecteurs. Cela rend une identification assez facile. En ce qui concerne le message que j’ai voulu passer, pour moi c’est une personne normale qui s’est battue pour détruire des murs et des obstacles qui se dressaient devant elle. Ce que je veux, c’est donner du courage aux personnes ordinaires qui lisent mon œuvre.
Voulez-vous traiter de l’ensemble du règne d’Hatchepsout ?
Chie Inudoh : Oui, j’aimerais vraiment écrire son histoire jusqu’à sa mort.
Quelles ont été les problèmes rencontrés dans la création du personnage Hatchepsout? Autant graphiquement que dans la documentation ?
Chie Inudoh : C’est d’abord par des connaissances de base en histoire qui s’attaquent à des œuvres sur les thèmes historiques. Moi ce n’est pas mon cas, je n’ai pas fait ce genre d’étude. Du coup tout était compliqué pour moi. Je voulais en plus intégrer des éléments entertainement dans la construction de l’histoire et dans la description du monde. Il y a donc eu pas mal de complications.
On a ouïe dire que vous travaillez de très près sur le manga. Comment répartissez vous le travail dans la conception d’un chapitre ?
Chie Inudoh : En tant qu’auteure, c’est moi qui donne les idées et fais les dessins. Mon éditrice est là pour s’assurer que je rends des dessins au niveau, pour être publiés en magazine. Elle me donne un premier avis sur l’intérêt de l’histoire en tant que lectrice. C’est également une partenaire importante pour moi pour mes recherches, parce qu’elle m’accompagne, me trouve documents et livres.
Comme c’est la première fois que vous êtes publiée en France, on connaît peu de chose sur vous. Pouvez-vous nous dire s’il y a des traits de personnalité d’Hatchepsout qui reflètent les vôtres ? Ou dans des personnages secondaires ?
Chie Inudoh : Comme point commun, petite, j’avais une fascination pour les femmes qui savaient se battre et qui étaient fortes, même si l’on me disait que ce n’était pas comme cela que les filles devaient se comporter.
Peut-on donc dire que le premier chapitre sur l’enfance d’Hatchepsout présente des éléments de votre personnalité ?
Chie Inudoh : Un peu. (rires)
Quels mangas lisez vous plus jeune ? Quels sont vos influences ?
Chie Inudoh : Quand j’étais petite, je lisais beaucoup de mangas shôjo en particulier, Sailor Moon donc des séries avec des femmes fortes. Ensuite au collège, je me suis mise aux shônen et aux seinen. J’avais donc une vision plus large de la production de manga. Pour mes influences, j’ai été particulièrement marqué par Clamp, Kenshin le Vagabond, les œuvres de Yashuhiro Naitô et plus récemment des auteurs du magazine comme Kaoru Mori.
Comment s’est passé la rencontre avec les éditions Ki-oon pour ce premier tome relié en France ?
Ahmed Agne, éditeur des éditions Ki-oon : Avant d’avoir appris le japonais et de devenir éditeur de manga, j’étais passionné d’histoire et jusqu’à la terminale je voulais faire des études d’histoire. Je voulais devenir archéologue car j’étais particulièrement fasciné par l’Egypte ancienne. Il y a très peu de choses sur l’Egypte qui sont produites en manga donc quand celui-là est arrivé chez Enterbrain, magazine que j’affectionne beaucoup parce qu’ont fait « Bride Stories » et d’autres séries, c’était le destin. (rires)
Reine d’Egypte est le premier manga inaugurant la collection Kizuna. Cependant il est pré-publié dans un magazine jôsei au Japon, quelle est donc le public que vous visez ?
Chie Inudoh : Harta est considéré comme un magazine seinen, dont la cible porte sur des lecteurs de 20-30 ans et plutôt des hommes. Mais les auteurs sont plus souvent des femmes, donc cela peut donner cette impression d’être un magazine avec une touche féminine. En ce qui me concerne, le lectorat idéal vient du fait que j’ai voulu faire cette série que j’aurais voulu lire étant enfant. Du coup, lorsqu’on m’a dit que le manga serait dans la collection Kizuna de Ki-oon, j’ai été très contente car c’était exactement l’objectif que je m’étais fixée.
L’Egypte ancienne est assez apprécié en France. Nous avons des auteurs célèbres qui y ont dédiés leurs romans. Est-ce le cas au Japon ? Quelle aura possède la mythologie égyptienne, du fait qu’il y ait peu de mangas sur ce sujet ?
Chie Inudoh : C’est vrai que quand j’ai proposé ce projet, il n’avait pas de « boom egyptomania » au Japon. Au contraire, ce n’était pas un thème vendeur et ce n’était pas un moyen facile de vendre le bouquin. Par contre, il y a pas mal d’œuvres qui racontent des histoires de différentes cultures comme Bride Stories. C’est dans cette limite que je me place. Les lecteurs japonais ne se préoccupent pas vraiment de quelle culture on parle, mais plus de l’histoire elle-même. En revanche, il y a un petit boom de l’Egypte mais il est à travers les jeux vidéos, où les dieux égyptiens sont utilisés pour faire du character design de personnages.
Comment votre tantô a réagi devant ce projet ?
Natsuyo Morioka : Déjà c’est sa troisième œuvre, elle a donc fait ses preuves et j’avais envie qu’elle passe à un autre niveau en se lançant un vrai défi par une œuvre à plus grande échelle. Quand elle m’a proposée l’histoire d’Hatchepsout, les différents points auxquels j’ai vérifié avant de donner mon avis est de savoir si c’est un personnage intéressant qui pouvait charmer le lecteur. Le deuxième point, était de savoir si cette histoire lui permettra de mettre en avant sa technique du dessin très détaillé. Et pour finir, le plus important pour moi, c’est qu’elle voulait parler de cette reine comme une personne normale qui accomplit de grandes choses. C’est donc un moyen pour elle et le lecteur de s’identifier et de s’intéresser à l’Histoire. Comme tout était bon, je lui ai dit d’y aller mais c’est vrai que nous nous attendions pas à un tel succès. Je ne pensais pas en terme de succès de vente mais je me disais que c’était une œuvre qui lui ressemblait.
Quel a été votre réaction lorsque vous avez su que le manga serait édité en France ?
Chie Inudoh : J’étais très heureuse et aussi inquiète de l’accueil francais, d’autant plus que je sais que l’Egypte ancienne a une place importante ici. J’avais vraiment envie que les lecteurs voient mon manga comme une œuvre de divertissement.
Quelles sont les différences entre l’accueil des lecteurs japonais et les lecteurs francais ?
Chie Inudoh : Au Japon, la culture du manga et de l’anime est très présente donc c’est assez normal dans la vie de tous les jours. Du coup les lecteurs sont très exigeants et critiques. Cela se ressent beaucoup dans les séances de dédicaces, ils sont assez sévères. Alors qu’en France lors de mes dédicaces, le lectorat était très accueillant et curieux. Les lecteurs posent beaucoup de questions tandis qu’au Japon, les lecteurs ont plutôt tendance à donner leur avis et montrer leur savoir à ce sujet.
Sur combien de volumes va s’étaler Reine d’Egypte ?
Chie Inudoh : Pour l’instant je pense que cela va faire cinq, six volumes. En ce moment, je dessine le début du quatrième tome et pour moi, il se situe à peu près à plus de la moitié de l’histoire.
On disait plutôt que vous aviez fait deux mangas sur des femmes fortes. Trouvez vous qu’elles sont assez nombreuses dans l’entertainment aujourd’hui ?
Chie Inudoh : Le fait même que l’on ait l’impression que cela augmente prouve à quel point il y en avait déjà peu au départ. Nous arrivons dans une situation où personne ne se pose cette question.
Les critiques vives ou constructives des lecteurs japonais vous influencent elles lors de votre création ?
Chie Inudoh : Oui j’écoute avec attention ceux qui lisent mon œuvre avec soin. Lorsque je pense être passée à côté de quelque chose, j’essaie de le corriger.
Pensez-vous déjà au prochain titre après Hatchepsout ?
Chie Inudoh : Pour l’instant je suis tellement à fond dans mon œuvre que même si des fois j’ai vaguement des idées sur ce que j’aimerais bien dessiner un jour, je n’ai pas du tout le temps ni la possibilité de me pencher sur le sujet à l’heure actuelle.
Nous remercions l’équipe de Ki-oon pour cette interview.