- Auteur : IKEGAMI Ryoichi
- Genre : Suspense, Drame
- Editeur : Delcourt x Tonkam
Synopsis : Découvrez 8 adaptations en manga de romans de littérature dont la majorité a été écrite durant l’ère Taisho, autrement dit de 1912 à 1926, époque de la modernisation de la littérature et de la renaissance du métier de mangaka. La thématique principale de Yuko est l’amour sous forme de sacrifices ou de dévouement, le tout utilisé comme instrument de pouvoir jusqu’à une mort inéluctable.
Maître dans l’art du thriller, Ikegami Ryoichi est un auteur phare durant les premières années de publication du manga en France avec Crying Freeman en 1995 par Glénat qui lui valut une certaine notoriété notamment grâce à l’adaptation cinématographique de ce même titre un an plus tard. C’est au bout de deux volumes que l’éditeur français décida de stopper la commercialisation du titre qui fut repris par Kabuto qui édita la totalité de la série à savoir dix tomes. En 1996, Glénat, une nouvelle fois, publie Sanctuary, nouveau titre du mangaka qui fut, une nouvelle fois, réédité par Kabuto en 2004. Ce titre connu un plus grand succès encore que Crying Freeman, permettant ainsi à Ikegami de s’imposer dans le genre dramatique parmi le public français. C’est en 1999 que Tonkam s’empare de Nouvelles de la littérature japonaise, un recueil de cinq nouvelles. Afin de remettre au goût du jour ce projet, les éditions Delcourt/Tonkam ont choisi d’éditer de nouveau ce recueil en conservant trois des cinq nouvelles et en ajoutant huit nouvelles histoires. C’est donc un total de treize récits dont neuf écrits de la plume d’Ikegami. C’est un grand pas en avant pour l’auteur qui, jusque là, se contentait de dessiner et laisser le scénario être supervisé par quelqu’un d’autre. Sans barrière, l’auteur laisse alors parler son art et sa poésie en confrontant des sujets très adultes dans le très beau, Yuko – Extraits de littérature japonaise.
Ce one-shot se divise en quatorze parties, treize récits et une interview de l’auteur. Chacune d’entre elles raconte une histoire indépendante les unes des autres mais qui ont pour thème commun, le désir, le plaisir coupable, le péché, l’amour mais avant tout le côté négatif de l’homme. Libéré de tout scénariste ou restriction quelconque, Ikegami laisse aller son imagination et sa création et ça se ressent. Fortement bridé lorsqu’il travaillait sur ses précédentes œuvres, cet artiste ne pouvait laisser exprimer ce qu’il avait envie de partager avec le lecteur. Comme il le dit durant une interview en 2010, à l’occasion de la sortie de ce projet : « Je pense que j’ai choisi justement des récits que je n’aurais jamais pu écrire si c’était sur scénario pré-écrit. ». Ikegami se laisse alors imploser dans ces histoires publiées entre 1991 et 1999 et atteint l’apogée de son art.
L’élève de l’illustre Shigeru Mizuki nous offre alors des récits qualifiés d’immoraux pour la plupart mais qui sonnent plus comme une douce et cruelle poésie pour les yeux. Mettant en scène la dévotion dans le premier récit de l’ouvrage, Elle s’appelait Yuko, Ikegami illustre la passion qui lie un jeune couple au point où Yuko, ira se sacrifier pour le bien de son compagnon. Ainsi, la jeune femme s’enrôle dans une séance photo pour les besoins d’un artiste appréciant tout particulièrement le shibari, l’art du bondage japonais. Cette thématique revient plusieurs fois durant les différentes histoires mais l’auteur ne s’en sert pas comme vulgaire pratique sexuelle, il la personnifie et lui donne un sens, un but : lier le péché, le désir, le danger que peuvent représenter des femmes comme Mademoiselle Sono, la professeure remplaçante dans Le serpent, qui est présenter comme Méduse, une femme qui charme les hommes et leur ôte tout espoir de vivre tranquillement après avoir vu son tatouage en forme de serpent.
Ikegami le dit lui-même, il souhaite faire ressortir l’aspect négatif des humains et montrer du beau dans du malsain et c’est de quoi parle chacun des récits. Cette volonté de vouloir montrer au lecteur une réalité cruelle et malsaine, en opposition à ces œuvres très commerciales où tout est positif, est là le but de l’auteur qui creuse toujours plus profondément dans les passions des hommes et femmes pour proposer une relation qui dérange, une femme qui répugne, un homme immoral. Le mélange de tout ça, de toutes ces immondices font ressortir l’authenticité ainsi que la beauté que l’on peut retrouver quand on a atteint le fond, qu’on montre les êtres humains sous leur plus simple appareil : la luxure. Dans L’anneau, le protagoniste se lance dans une romance corporelle dans le seul but de satisfaire un besoin qu’il ne ressent pas forcément mais l’interdiction du mari d’approcher sa femme renforce cette idée de vouloir briser les règles. Ikegami parle de cela comme étant « l’absurdité de la vie humaine » et c’est exactement ce de quoi il est question.
L’art de l’auteur n’est plus à remettre en cause, son trait étant finement tracé. Ikegami exprime son amour pour le corps féminin au travers de planches où il laisse paraître ses personnages féminins complètement nus. Les attachant, violentant mais tout en les aimant d’un amour pur comme leur partenaire dans chaque récit. Ikegami se positionne comme étant le bourreau tout en étant le libérateur lorsqu’il dessine des scènes de sexe tout comme dans Fleur noyée où l’homme étrangle sa maîtresse, la faisant sombrer dans les précipices du plaisir et de la mort. Ces scènes érotiques n’ont rien à voir avec de la pornographie mais relèvent d’une poésie aussi douce ou brutale que peuvent être l’acte dans les différentes histoires. Tantôt tendrement délicieux tantôt amèrement cruels, ces passages témoignent d’une puissance que le mangaka souhaitait retranscrire, jouant avec ses personnages. Il les amène alors à se dévoiler l’un à l’autre mais aussi au lecteur qui le voit dans sa plus grande simplicité, sous son vrai jour.
Yuko se révèle donc être un one-shot d’une très grande qualité. Avec ses 450 pages et 13 récits, il ne pourra que plaire aux amateurs de littérature plus mature. Ces thèmes adultes sont traités de manière très intéressantes, l’auteur assombrissant et donnant un côté immoral sans la moindre once d’espoir dans chacune des histoires. Accompagnée d’une édition magnifique de la part des éditeurs, cette anthologie de littérature se présente sous la forme d’un vrai roman plutôt que comme les couvertures de manga classiques. Avec des chapitres particulières forts dans leur narration comme L’enfer, Le donjon ou encore Tu m’as touché en rêve, Yuko s’inscrit définitivement dans la liste des meilleures sorties de ce début d’année 2017.